Troisième anthologie, dans le prolongement des précédentes, de la journaliste canadienne, mondialement traduite. Troisième coup de butoir (plus de 500 pages) sur le bastion capitaliste. Alors que No Logo (2001) puis la stratégie des chocs (2008) mettaient à mal les marques omnipotentes et le libre échange, tout peut changer épingle l’extractivisme alias notre inclination compulsive à l’exploitation des ressources (le surconsumérisme, son pendant implicite, n’étant pas le sujet du livre). Naomi Klein fustige les industries fossiles à la fois pour leur responsabilité et leur déni du changement climatique. Lequel change tout*. Le premier changement qu’identifie l’auteure a lieu en elle-même vers 2009 : elle prend alors la mesure du caractère catastrophique et inéluctable du réchauffement climatique. Dés lors, il ne s’agit plus d’aménagements, de réformes ou de mesures en demi-teintes voire esquivées lors des sommets planétaires. Non il s’agit d’endiguer toute affaire cessante l’exploitation de nos (sous) sols et d’inventer le post capitalisme. Toujours implacable tant il est étayé par une rigoureuse investigation à l’échelle mondiale, l’ouvrage pilonne les émetteurs de GES, cartographie des combats locaux, démystifie la géo ingénierie, dénonce compromissions et collusions… assène LA vérité qui dérange : nous devons changer, vraiment, maintenant. Comment ? A cet endroit, les solutions ébauchées par la journaliste altermondialiste, récemment convertie à l’écologie, semblent encore un peu… « vertes ».
*This changes everything, titre original de l’opus.
Carburant de la croissance et grand responsable des émissions de GES, les énergies non renouvelables ont fait l’objet d’une somme magistrale et d’un livre à thèse pour qui veut comprendre l’histoire récente de l’énergie et son ambivalence sur laquelle nous éclaire le mot « power ». Or noir, la grande histoire du pétrole, est le fait du journaliste Matthieu Auzanneau. Il y établit l’intime corrélation entre puissance géopolitique et détention de ressources pétrolières, l’irrésistible ascension de l’industrie la plus influente de tous les temps. Avec Carbon Democracy l’historien Timothy Mitchell propose une lecture iconoclaste de nos révolutions industrielles : si les deux énergies carbonées ont affranchi l’humanité des contingences de la nature, le charbon, le mode opératoire de son extraction supposant une forte concentration de main d’œuvre, a d’abord façonné nos démocraties avec l’avènement du syndicalisme. Les hydrocarbures, eux, beaucoup plus intenses, fluides par essence permettent une concentration des décisions. Leurs exploitants accélèrent la mondialisation, façonnent les régimes, alimentent la prospérité matérielle occidentale rançonnée par l’anémie de notre vie politique et l’autoritarisme moyen oriental, nappent le pic pétrolier d’un brouillard gnostique facilitant la maîtrise du prix du baril, étouffent leur responsabilité quant aux émissions de CO2 et entretiennent le mythe de la croissance sans limite ! la thèse est fortement documentée. Naomi Klein n’a pas le monopole de la dissidence en Amérique du Nord.
Matthieu Auzanneau : Or noir, la grande histoire du pétrole (la Découverte 2015)
Timothy Mitchell : Carbon Democracy (La Découverte 2013)