Il parle vite. Salue la performance des enduro-bikers venus ces jours-ci à un saut de batracien de là, envahir la plage du Touquet telle une nuée de sauterelles, faire démonstration de force et de farce : « des abdos et une volonté d’acier pour aller au bout voilà ce qu’il faut aux premiers ; le sens du spectacle, un engagement furieux et désintéressé de carnaval pour les suiveurs » achève t-il ainsi, animé, une brève conversation avec quelques aficionados venus s’attabler la veille. Se pâmer sans doute. Venus dormir ensuite, rêver plutôt, dans l’une des huttes de son domaine. Venus assister enfin à la vrombissante psalmo- parade. Alexandre Gauthier salue soudain. Tourne les talons. Hèle un prénom et deux consignes par l’entrebaîllement d’une porte, s’engouffre par une autre. Le chef a une mission. Une étoile. 37 ans. Une seule vie. Tout terrain, martial, précis, explorateur. On devine en lui une force de la nature désireuse de donner à la nature toute sa force. Un home grenouille. Alexandre Gauthier se trouve en cuisine « dans son élément ». Il y œuvre. Qu’il soit dedans dehors, il s’y affaire sans cesse. Tout à l’œuvre.
- Dans ses cuisines (il en dirige plusieurs outre celle, historique, héritée de son papa vers 2003 à Montreuil sur Mer, la scène nationale de Calais se voit rehaussée de sa restauration depuis 2009).
- Sur ses cuisines (il a réfléchi ses espaces avec Patrick Bouchain, architecte apocryphe).
- Hors les murs, il œuvre encore : Alexandre observe puis dompte, en laboratoire mais aux prises avec la nature dont il se saisit tel ce ganadero, son taureau par les cornes. (il confesse fièrement, dans son ouvrage, la révélation forcée de la Saint-Jacques, brûlée à vif…)
Observateur ? Affirmatif. Ses chambres, mêmes sont photographiques : les huttes bordant le restaurant de la Grenouillère s’apparentent, étymologiquement, à des cameras. Où notre temps de pause se cala sur l’optimale captation de lumière!
Une étoile ? Plus pour longtemps. Une deuxième le guette. Comment résistera t-il à la tentation de briller d’un deuxième feu au firmament de la grande casserole, alias constellation des grands chefs ? Dont on sait que certaines, quoique inertes, étincellent encore.
Résister. Voilà tout le mal que nous lui souhaitons. Tant la promulgation des étoiles nous semble comminatoire. L’écrin stellaire ne saurait émollier le double tranchant de son diamant : d’une part les injonctions du monde, bien sûr, auquel la deuxième étoile offre surtout la possibilité de déchoir ceux jadis consacrés par lui-même, d’autre part les passions secrètes. Nous gageons ici que ce chef d’expériences – au pluriel s’il vous plaît tant il paraît enclin à en poursuivre plutôt qu’à se gargariser des passées- ce jeune homme d’expériences donc, saura conjurer l’augure inscrit au fronton de sa cheminée, et contenir en sa grenouille la résistible envie de devenir bœuf. Son palmarès, nourri, rapporté à son accessibilité, manifeste, indique que oui, Alexandre Gauthier, résistera à la folie des grandeurs. Il semble né sous une bonne étoile.